« Je chante je chante chante soir et matin , je chante sur mon chemin ». Rien n’est plus vrai dans notre bonne vieille ville de Saint-Etienne qui a toujours été chérie par les musiciens d’ailleurs et d’ici. Normal, me direz-vous, ces gens ont du cœur. Et bien oui, mieux vaut une petite ville gris souris , en verte et contre tous, choyée par les sensibles et contemplateurs qu’une gigantesque métropole lumière d’où pullulent les organisateurs, directeurs, censeurs et autres fiantes diplômées dont le sens de l’esthétique est à la hauteur de ce qu’ils essayent de nous vendre.
Tu me taxeras sûrement de chauvin, sale petit communiste d’amicale laïque, mais je te le dis, il y a une relation particulière entre Sainté et la musique. Par rapport à sa taille, l’activité musicale de la ville est étonnante. Beaucoup sont des gars du pays ou même des gars adoptés par le pays qui ont préféré rester peinards à l’ombre des sept collines. Les émigrés aussi gardent en leur cœur le forez qu’ils ont souvent étés contraints de quitter. Mais tout cela n’est pas le sujet d’aujourd’hui. Non le sujet d’aujourd’hui, bien qu’en rapport avec la musique, relève plutôt de la nuisance sonore. « Hey tous les goûts sont dans la nature ! Ce n’est pas parce que tu n’aimes pas que… » NON ! Ferme-la! Tous les goûts sont dans la nature mais tous les cons aussi !
Okay, bon, soit. Tous les goûts sont dans la nature. Il y a le bon goût et puis les goûts de merde. Si tu ne saisis pas la différence entre Amel Bent et Jean Sebastien Bach je te laisse seul en compagnie d’une meute de loups, tu vas voir les goûts de la nature.
Mais je me sens l’âme sensible et charitable. Tonton Gaspard va t’aider, futur braqueur d’amie câline.
L’amour de la chanson
Comment donc grimper l’ascenseur social ? Tu lâches un méga high kick dans la face de ta télévision HD, t’y mets ensuite le feu que tu alimenteras de ton poster de Cyril Anouna, de ton smartphone et de ta perche à selfie. Maintenant que ton salon possède un âtre digne de ce nom, tu approches ton plus beau fauteuil, tu te fais une camomille, tu lances France musique et tu ouvres un bouquin d’un mec connu et mort depuis au moins vingt ans. Fais ça régulièrement, tu verras ta vie changera et tu lanceras des conversations le dimanche midi qui feront mouiller mémé de joie et te transformeront en véritable petit coq de la famille !
Maintenant que tu es sauvé et en bonne voie de devenir un petit réponse-à-tout arrogant, je peux continuer mon histoire.
Nous somme samedi après-midi et te voilà sur la route du centre ville, en direction de Zara, lieu cher à ton cœur qui sait satisfaire tes plus viles pulsions voyeuristes. Mettant au point les plus labyrinthiques stratégies pour te rapprocher des cabines d’essayage, tu marches d’un pas allègre et décidé, le cœur léger, prêt à bondir sur la verte gazelle stéphanoise, quand, à peine arrivé sur la place du peuple, tes esgourdes détectent une étrange mélopée.
Et tu la vois, là devant toi, la Céline Dion du forez, la Chimène Badi du 42 qui chante à gorge déployée devant les badauds amusés. Amusés c’est bien le mot parce que notre chère cantatrice n’est pas l’interprète la plus talentueuse qu’il m’ait été donné d’entendre et les émotions qu’elle déclenche sont au mieux les éclats de rires, sinon une puissante flambée destructrice quand les commerçants qui l’entourent s’aperçoivent que sa plus grande qualité est sans doute son endurance.
En roue libre, elle pousse fièrement la chansonnette a capella interprétant les plus grands succès de la chanson française. D’Edith Piaf à Michel Polnareff en passant par Michel Sardou et Claude Francois, tous y passent. Notre cantatrice de foires aux bovins n’a pas peur des classiques et saura limer absolument toutes les chansons chères à ton petit cœur de mélomane.
L’amour de l’eau
Je me souviens que plus jeune, nous allions souvent avec les copains à Uptown dans la rue des Martyrs parce qu’on était trop des skateurs et qu’on était avide du moindre jean donnant plus l’impression de s’être chié plusieurs fois dessus que le précédent.
Bref un jour, nous allâmes donc à Uptown alors même que la Montserrat Caballe de trottoir y sévissait ci-devant, plus motivée que jamais à nous montrer la puissance de son organe. Et c’est accompagné d’un bon vieux Johnny qui fait le café que nous passâmes la porte d’entrée du magasin. A peine rentrés nous entendîmes le voisin d’au dessus, qui ne devait pas être aficionados du rockeur (ou trop), lancer un bon gros « Mais tu vas la fermer ta gueule ?!? » qui n’eut aucun autre effet que celui d’amuser la galerie. Quelques minutes plus tard, c’est un grand SPLAAOUUCH qui nous fît tous sortir. « Et maintenant tu la fermes ta grande gueule ?!? » criait le voisin de sa fenêtre. « Enculé ! Connard » lui répondait notre Assurancetourix des temps modernes, complètement trempée, pas ravie de s’être pris cet énorme sceau d’eau dans la tronche (quand, pour ton prochain rencard, tu t’approprieras cette formidable anecdote pour impressionner la petite pépé avec qui tu veux faire des cabrioles de chats en folie, tu peux bien évidemment remplacer l’eau par le liquide de ton choix, comme du lait par exemple ou de l’acide citrique ou même du liquide céphalo-rachidien. Je sais pas moi innove merde, tu veux pécho ou bien ?!?). Mais c’était mal connaître notre copine à l’organe facile que de penser qu’une averse l’arrêterait, elle qui était même censée la déclencher. Et la voilà reprenant plus fort le refrain, le poing levé, le regard tourné vers son agresseur : « Quoi ma gueule ? Qu’est-ce qu’elle a ma gueule ?? »
C’est au second sceau lancé, bien esquivé par notre choriste de supermarché à qui on ne la faisait pas deux fois, faut pas déconner, que nous partîmes laissant derrière nous la douce mélodie née de l’association de la persévérance de notre petite chanteuse à la croix de bois et du burn-out du voisin.
Dire que notre chère amie est la source d’une sacrée kyrielle de crises de nerfs est un doux euphémisme. Non, c’est un véritable cataclysme, une onde de choc destructrice qui s’abat sur le centre-ville quand elle décide d’y installer sa scène.
Mais elle a au moins le mérite de réellement chanter mal ce qu’elle chante et elle n’est pas médiatisée, elle… Non, je ne vise PERSONNE ! Petite parenthèse mais bon….. :
La fête de la chanson française…LA FÊTE DE LA CHANSON FRANÇAISE !!!tu engagerais un pédophile multirécidiviste pour garder la petite dernière ? Non bordel ! Même si elle n’a pas été très sage, non tu ne fais pas ça ! Écouter Jul à la fête du viol de la chanson française c’est pareil ! Faut pas faire ça.
Revenons à nos moutons. Difficile, donc, de ne pas faire la liaison avec Florence Foster Jenkins dont le film américano-britannique du même nom sort cet été et dont un récent film avec Catherine Frot s’inspire largement, qui avait elle aussi fort amusé le tout New-York. Véritable star à l’époque, Hergé s’en est même inspiré pour créer son célèbre personnage de la Castafiore. Voici la trace, pas si éloignée de celle que tu peux laisser dans tes slips petit bateau, que notre cantatrice a laissé à l’humanité. Une merveille de justesse et d’émotion qui, paraîtrait-il, aurait donné des idées à tonton Adolphe, mais ça reste controversé. On prend cinq minutes et on écoute.
Putain que c’est beau !
L’amour des autres
Mais qui suis-je donc pour juger ? Et toi ? Ordure capitaliste de banlieue embourgeoisée, qui es-tu pour juger ? Hein ? On se le demande !
Ce qu’il y a de vraiment étonnant chez ces personnes, c’est la foi inébranlable qu’elles mettent dans leurs actes et la méticuleuse application avec laquelle elles les accomplissent contre vents et marées. Parce que s’ il y a bien une leçon que notre forcenée de la glotte nous donne, c’est que le regard des gens ne compte pas. Tout le monde te le dira, mais tout le monde te mentira et au milieu de tous ces prêcheurs d’une religion qu’ils ne pratiquent pas, il y a notre gazouilleuse qui, à défaut de bien chanter, ne te ment certainement pas !
Tu aimes chanter ? Et bien chante ! Easy as shit comme disent nos camarades d’outre atlantique qui appliquent peut être ce précepte un peu trop à la lettre pour tout ce qui concerne la (mauvaise) nourriture.
Comprendre que le jugement des gens n’altère en rien le fait d’aimer chanter, danser, boire, de collectionner les boites d’allumettes, de faire des roulades nu dans l’herbe et que sais-je encore ; c’est s’assurer une bien meilleure hygiène mentale que nous tous qui attachons aux apparences une importance souvent trop intrusive. Et puis, mis à part quand ton trip c’est de couler des chatons sous des dalles de bétons, ça fait bien souvent de meilleurs être humains, bienveillants et moins violents.
Je te vois venir, sale petit prépubère à la coupe de cheveux tunning, tu vas me répondre que la façon dont notre soliste des trottoirs chante est une violence en soi et tu n’auras pas totalement tort. Mais qu’est donc cette violence comparée à la violence misérable et lâche que certains badauds utilisent quand ils s’arrêtent devant elle pour se foutre ouvertement de sa gueule avec leurs faux encouragements, profitant de la candeur ou de l’indifférence de notre chère pioupiouteuse de banlieue ?
Comme l’a si bien dit Jordy Savall : (si tu connais pas tu cliques, tu pourras t’en servir dimanche pour te la raconter grave et marquer des points avec mémé, genre Marin Marais c’est trop un srab) « La violence que l’on peut trouver dans la musique n’est pas une violence qui détruit ».
Soyez indulgents et tendres avec ceux qui le méritent les enfants, Dieu vous le rendra !