Oui, je commence par une affirmation, histoire de mettre les pieds directement dans le plat.
Que l’on se mette d’accord rapidement, je vais parler de ce que je connais, on va donc parler de l’évolution de Sainté sur les 30 dernières années. Je ne m’amuserai donc pas à fantasmer un passé que je ne connais pas et que je ne lis qu’à travers les commentaires vus ici et là, nous parlant d’un Sainté dynamique, vivant et où les verts étaient la place forte du football.
Dirty Old Town
Naître dans les années 90 à Sainté, c’est naître en plein milieu de l’effondrement démographique de la ville (passé de 220k à 170k entre 68 et 2010), c’est avoir connu le MacDo place du peuple, les nouvelles galeries, les après-midi à la Fnac place Dorian et les incessants allers et venues dans un Centre Deux à la mode (en passant par Fighter). Une époque où la ville a vu son fossé avec Lyon se creuser, cette dernière qui réussissait année après année sa mutation vers le tertiaire et plus de modernité. Là où Sainté semblait figée comme spectatrice d’un monde qu’elle voyait s’effondrer, un monde dans laquelle elle avait une place prédominante de par son industrie avant-gardiste.
Les années fastidieuses passées, on ne qualifiait plus la ville qu’avec des adjectifs péjoratifs, se posant la question si Sainté était la ville la plus : moche, ennuyante, nulle de France.
Oui, car l’urbanisme stéphanois devenait une véritable question. Louis Dorna dans Histoire de Saint-Etienne nous dit que la ville n’a jamais vraiment eu de plan d’urbanisme comme les autres grandes villes françaises, bien au contraire ; “Il ne faut pas oublier, en effet, nous l’avons vu, que la ville a été construite sans ordre et au petit bonheur“. Oui, il fallait s’y résoudre au sens français du terme, Saint-Etienne n’a pas la romance d’une belle ville.
Finie l’insouciance de l’enfance du côté de la belle place Anatole France, une question revenait sans cesse : habitions-nous dans une ville vouée à mourir ? Le départ de Pierre Gagnaire dans les années 90 résonnait comme un symbole évocateur. Là, où la ville aurait pu détenir l’un des meilleurs restaurants du monde (non, je ne pèse pas mes mots) on laissa tristement le story telling à notre voisine lyonnaise (qui question story telling sait s’y prendre …).
Côté loisir, les années étudiantes vinrent rapidement imager le fossé qui pouvait exister entre les autres grandes villes de la région et Saint-Etienne. Avec une population vieillissante et modeste, les loisirs étaient le parent pauvre des priorités des stéphanois. Peu d’activité, une offre touristique réduite alors que la région a tout à offrir de ce côté-là. Côté restauration c’était peu varié (la fameuse ville des pizzas et kebabs) et on peut dire maintenant que les goûts en terme de déco des différents bars de la ville étaient parfois douteux.
On mettra de côté les fermetures successives de boutiques en centre-ville car cela se retrouve au niveau national, mais peu d’affluence dans ce dernier par des propositions monotones et redondantes.
Côté fête, je vais peut-être en étonner certains mais non, Le Bul n’était pas le club étudiant que l’on connaît maintenant, mais était alors bien moins fréquenté, la présence des discothèques parc Giron alors n’aidant pas. La rue des martyrs était elle bien moins fréquentée et rien ou pas grand chose du côté des autres lieux aujourd’hui très vivants : Jean Jaurès, Vielle Ville, cours Victor Hugo ect…
Voilà ce que se remémore un homme de 30 ans sur son enfance à Sainté. Non, ce n’était pas la pire ville du monde mais elle avait un côté moribond (pas aidée par les actualités liées à la ville) et cela se confortait dans les comparaisons que l’on pouvait faire avec d’autres villes. En retard, évidemment mais loin, très loin d’avoir dit son dernier mot.
Demande à une plante de grandir sans ses racines
Comme beaucoup, j’ai quitté la ville pour les études, travaillé, voyagé avec l’idée de voir si l’herbe était vraiment plus verte ailleurs. Partir de sa ville de naissance renforce chez beaucoup le lien qui nous unit à elle… “Sainté souvent tu me soules, mais quand je te quitte tu me manques”. Combien de steph expat’ ont exacerbé leur attachement à l’ASSE, leur utilisation de l’accent ou même démontré par X et Y que c’était bien à Sainté qu’on faisait le mieux la fête.
Mais difficile de faire face quand les moqueries ou railleries d’autres français accompagnent l’évocation de notre ville d’origine, rendant certains honteux et d’autres beaucoup plus fiers.
En revenant à Sainté, j’ai découvert une ville en réelle mutation qui ne s’inscrivait plus dans “la renaissance”, éternelle leitmotiv marketing. Non, la ville ne renaît pas, puisqu’elle n’est pas morte, bien au contraire, elle a su faire ce qu’elle a toujours su faire: le dos rond et travailler avec humilité dans l’attente de son retour sur le devant de la scène.
J’ai (re)découvert une ville avec un énorme tissu associatif, véritable descendant du passé ouvrier de la ville. Ce monde associatif qui a permit à la ville d’acquérir une belle réputation culturelle.
La bonhomie stéphanoise qui me semblait peu réelle avant de découvrir le monde, me paraissait désormais évidente. Oui, ici pas de chichi, on est bavard, sociable et ouvert, loin de la froideur d’autres grandes cités où tout est plus dans la forme que dans le fond. Le travail effectué de revitalisation des façades du centre-ville, a clairement éclairé ce dernier. Que ce soit du côté du quartier Saint Jacques, ou sur les différentes places, le beau temps donne même parfois un accent sudiste à cette ville que l’on a souvent appelé “la nordiste du sud” (ce qui est une énormité sociologique).
J’ai pu me rendre compte de l’énorme offre culturelle (parallèlement à la taille de la ville) qui n’existait pas dans mon enfance, entre festivals (Positive Education, Arcomik, 7 collines, Guinguettes …) événements sportifs (Coupe du monde, Euro, rugby, tour de France …) concerts (Le Fil, Le Clapier, Le Pax, La Comète. Soyons honnête la programmation du Zenith reste un peu faible). Et j’ai découvert une ville enfin tournée sur le monde et qui a décidé de vivre avec son temps, avec une offre gastronomique en évolution et variée, un nombre très important de bars et pubs (lié à l’impressionnante expansion d’étudiants dans la ville) l’installation de nombreuses boutiques et concepts, et j’ai même appris à apprécier la modernité et la simplicité de Steel (en attendant la modernisation de Centre Deux).
Je me suis même étonné de voir l’évolution des quartiers, là où avant tout était centralisé sur la rue des martyrs, nous pouvons désormais en avoir pour tout le monde. L’arrivée des Halles Mazerat ajoutant également un nouveau quartier de vie. Honnêtement, je peux aujourd’hui tout faire à Saint-Etienne, ce qui était plus compliqué avant. Je peux manger indonésien, acheter mes vinyles ou en vrac , aller voir n’importe quel artiste en concert, voir une exposition de renommée internationale, faire un escape game, aller voir un match de basket. Des choses qui me semblaient réservées aux grandes villes (dont Sainté fait d’ailleurs partie).
J’ai aussi pu découvrir une région magnifique qui n’était qu’un grand flou pour moi, des grands espaces du Pilat (où je pouvais découvrir un paysage canadien hiver comme été) aux gorges de la Loire. Apprendre que c’était dans ma ville que l’on avait inventé la machine à coudre, les premiers vélos français, les prémisses de la perceuse. Que c’était là que se retrouvait le QG d’énormes entreprises : Casino, Sigvaris (fidèle héritière de l’ingénierie stéphanoise en textile), Focal, Thuasne, Desjoyaux, Weiss, BV Sport …
Si l’on ajoute à cela un coût de la vie peu élevé, Sainté est indéniablement devenue une ville où il fait bon vivre.
Qu’est ce qui a changé ?
Je me dois de saluer le travail engagé par les politiques de la ville qui ont forcément eu un rôle dans ce développement désormais visible de Saint-Etienne. Oui, car parler de soi aux autres, Sainté a toujours eu du mal à le faire (ah la mentalité beauseigne), et indéniablement les politiques ont pris à bras le corps l’attractivité de la ville (et même de sa région avec des supers concepts comme Saint-Etienne Hors Cadre). Ce qui a permis d’attirer de nombreux étudiants et jeunes étant plus intéressés par une vie en centre-ville, que par les pavillons de la périphérie stéphanoise (en espérant que le fameux rêve stéphanois de vivre dans la plaine ne soit bientôt qu’un mauvais souvenir).
Le choix du design comme nouvel axe d’évolution de la ville reste une interrogation pour beaucoup de stéphanois (même si pertinent si l’on prend par exemple l’axe du design social) mais permet d’installer la ville à la table des grandes métropoles françaises et européennes et de la désenclaver. On peut aussi noter que l’expansion tentaculaire de Lyon a forcément eu un impact sur Sainté.
La modernisation de la ville s’exprime bien à travers le quartier de Chateaucreux qui, pour le coup, était vraiment moins bien avant. La question esthétique n’étant pas la priorité, mon avis s’applique seulement au fait que cela améliore cette entrée de ville.
Je pourrai aussi évoquer comme élément de réponse que c’est peut-être ma vision de la ville qui a évolué, ainsi que mes attentes. Une vision forcément influencée par ma vie loin de Sainté.
Ma question aurait pu être plus simplement : qu’est ce qui n’a pas changé? Car plein de choses n’ont pas changé, et c’est ce qui a permis à Sainté d’évoluer positivement. Cela se retrouve dans une qualité qu’elle entretient plus que les autres: la résilience. C’est cette dernière qui a fait que cette ville qui n’aurait presque jamais dû voir le jour (aucun fleuve, loin des grands axes commerciaux de l’époque, sur un terrain marécageux, moyenne montagne…) a fait le dos rond et a continué son évolution à un rythme modéré, mais en évolution quand même, en s’adaptant souvent et en innovant toujours.
Grâce à une population créative, solidaire qui n’a jamais abandonné celle qu’on aurait voulu ville champignon. Qui a repensé les interactions urbaines face au cataclysme économico-social. Qui s’est trouvé d’autres représentations que le foot et l’industrie, qui ne s’est pas installé dans la résignation. Aujourd’hui Saint-Etienne ce n’est pas que la ville des verts et de la mine, c’est celle des passementiers, des designers, des artistes, des entrepreneurs .
C’est bien l’esprit stéphanois qui nous offre aujourd’hui cette si belle preuve d’une ville humaine, vraie, une pensée symbolisée par cette citation de Louis Dorna dans Histoire de Saint-Etienne évoquant la mentalité stéphanoise :
« L’histoire de Saint-Etienne, pour ses habitants et pour ses enfants, présentent l’intérêt qui s’attache toujours à l’histoire de la petite patrie. Pour les étrangers, et à un point de vue objectifs, cette histoire se présente sous un aspect très spécial. C’est tout d’abord, celle d’une ville qui ne doit son existence qu’à elle-même. La ville de Saint-Etienne n’est ni une fondation, ni une filiale, ni une colonie. Elle n’a eu ni don, ni héritage. Tout ce qu’elle a, tout ce qu’elle est, elle ne le doit à personne qu’à elle-même ».
Sainté c’est mieux maintenant !
1 commentaire
Article très positif et qui colle très bien à la réalité.