Spoiler : sans TOUTES les immigrations Saint-Etienne n’existerait pas vraiment aujourd’hui, ou alors pas en tant que ville.
Avant propos, ce billet est bien sûr sourcé en grande partie sur des études sociologiques et historiques sur Saint-Etienne (Sociologie de Saint-Etienne, Histoire de Saint-Etienne, Saint-Etienne l’unique …). Ce billet synthéthise bien-sûr cette question sociologique que vous pourrez retrouver dans les livres indiqués ci-dessus.
Un peu d’histoire.
Saint-Etienne c’est une histoire un peu particulière, une sorte de grand projet qui n’aurait peut-être pas dû voir le jour. Oui, si on remonte au plus loin des premiers textes de l’histoire stéphanoise, la ville s’est construite sans aucun avantage notable d’époque. Loin d’un fleuve (seule grande ville française sans fleuve), loin des axes routiers et commerciaux d’époque, on parlera seulement de quelques pèlerins sur l’axe Lyon – Le Puy, pour le pèlerinage Compostelle.
On est sur une topographie de moyenne montagne et une bonne partie de la ville est un terrain marécageux. Si on se rapproche de nous, on va rajouter à cela, une ville qui a été meurtrie555 par la crise industrielle, avec une perte d’emploi record dans un temps … record aussi.
Vous l’aurez compris, on est face à un cocktail qui n’offre que très peu garantie à la croissance d’une grande ville.
Et pourtant c’est là ou la belle histoire, sorte de rêve stéphanois a fonctionné. Là où beaucoup imaginaient l’exemple type d’une ville champignon, va venir se confronter à la résilience stéphanoise. Aucune autre ville française (voire européenne) n’aurait pu y survivre mais c’est cette identité nouvelle, différente aux autres grandes villes française, qui a rendu les stéphanois plus perméables à tout ça.
La fameuse grande ville à la campagne.
Avant de parler de son riche sous-sol, Saint-Etienne a découvert dans son ingénierie, une capacité pour la fabrication des armes. Il paraitrait que ce serait lié à la qualité de l’eau du Furan qui faciliterait le travail des forgerons. La ville aux 7 collines devient alors rapidement réputée4 pour son intelligence industrielle et rapidement on y vient de partout pour se fournir mais aussi s’implanter.
Gardons à l’esprit qu’on parle alors d’une ville de max 4000 habitants, mais les fondements de l’aventure stéphanoise sont posés. Ne manque plus que les stéphanois.
La révolution industrielle apporte avec elle l’âge d’or de l’histoire stéphanoise. La ville grossit sans véritable plan d’urbanisme (la fameuse ville moche) et on y vient de partout pour y travailler. Dans un premier temps des populations du Velay et d’Ardéche, puis viendront les Espagnols, les Portugais, les Italiens et les Maghrébins et Polonais.
Nous sommes là face à l’exemple même de la création d’une population nouvelle, le stéphanois “de souche” est donc le fruit de ce mélange de population.
Politique stéphanoise
Politiquement, nous sommes à ce moment-là plutôt sur une population conservatrice et croyante. Il faut comprendre que les populations venues travailler à Saint-Etienne sont en grande partie issue des campagnes. Elles ramènent donc avec elles une idéologie d’humilité, d’hospitalité mais aussi un fort rapport de soumission à la religion et au pouvoir.
C’est donc sans surprise que la ville, même si ouvrière dans son essence, a régulièrement été à droite. On rappelle que les populations “paysannes” étaient alors bien moins politisées que les populations urbaines. Les crises successives et la conscience ouvrière vont par contre rapidement apporter une nouvelle identité à cette “nouvelle” population. Saint-Etienne aura sa commune par exemple. Elle sera aussi grandement partie prenante des différents mouvements sociaux. Aujourd’hui c’est l’une des seules grandes villes française à ne pas avoir de groupuscule d’extrême droite établi, qui viendrait perturber ce vivre ensemble stéphanois.
Le vivre-ensemble à la stéphanoise
C’est parce que nous avons toujours fait front ensemble, sans aucune distinction de classe, d’ethnie, de religion que Saint-Etienne nous offre aujourd’hui une grande victoire humaniste.
Car c’est à Saint-Etienne que la part des immigrés est l’une des plus importantes de France (20% a peu près) et c’est pourtant l’une des grandes villes les plus sûres de France (même 2ème grande ville la plus sûre d’Auvergne Rhône-Alpes derrière Annecy : source Le Parisien 2024).
Un premier moyen de tordre le cou à un poncif de l’extrême droite française. Ce sont les stéphanois eux même qui ont pris le pas sur le problème des locaux commerciaux vacants, en proposant avant les autres de nombreux concepts indépendants, ce sont eux qui ont fait vivre leurs quartiers en y gardant la tradition des amicales laïques.
Alors, oui comme partout il existe des querelles intestines, mais le stéphanois a toujours fait front quand il a été mis au ban de la société française et de son centralisme qui lui a petit à petit tout enlevé en terme de poids national, puis régional et enfin local.
Car si nous n’avions pas vécu, créé, fêté, chanté, existé ensemble, nous aurions comme beaucoup d’autres “villes champignons” été détruit, notre intérêt étant devenu minime. C’est pourtant ici que s’écrit l’histoire du plus beau palmarès du football Français, ici qu’en 100 ans nous avons créé la bicyclette, la vente par correspondance, la machine à coudre, la turbine hydraulique, le catalogue. Ici que nous avons eu le premier chemin de fer de France, le plus ancien réseau de tramway. Ici dans la ville aux 1000 brevets, que se fabrique les meilleurs enceintes du monde, les chaussettes des champions français et les tétines pour nos enfants.
Ici que les enfants de Sainté, de Michel Rondet à la Dub Inc en passant par Bernard Lavilliers et Michel Durafour, ont toujours défendu une image humaniste de cette ville qui n’avait comme plus belle richesse que ses humains.
Vivre ensemble, c’est ce qui nous définit en tant que stéphanois. Loin du populisme, des agitations et des tentations xénophobes. Le mélange c’est ce qui ici fait notre force, car cette ville nous l’avons construit ensemble. Dans sa typographie, dans son urbanisme, dans ses rues, dans son identité attachante. Quand on se moque de nous, comme cet immonde article du Monde il y a 10 ans, c’est nous tous qui sommes touchés, pas un stéphanois plus qu’un autre. Et c’est ensemble que nous répondons.
Tout à Saint-Etienne est le fruit d’un mélange de culture, alors nous ne l’avons peut-être pas aussi bien fait que l’excellence française le suggère mais nous l’avons fait à notre manière. Et surtout nous l’avons fait ensemble.
À mon grand père.
1 commentaire
Un très beau texte, qui reflète bien ce que notre ville a de meilleur selon moi.